La Divina Commedia
Si La Divine Comédie est un texte qui accompagne Romeo Castellucci depuis son adolescence, il n’en propose pas une “adaptation” littérale. Son travail est inspiré par ce texte, comme il l’écrit dans ses notes de travail : “Lire, relire, dilater, marteler et étudier à fond La Divine Comédie pour pouvoir l’oublier. L’absorber à travers l’épiderme. La laisser sécher sur moi comme une chemise mouillée”. Mais il vise surtout à “devenir” Dante : “Dans ce sens, être Dante. Adopter son comportement comme au début d’un voyage vers l’inconnu.” La Divine Comédie est un poème sacré du poète florentin Dante Alighieri (1265-1321), comprenant trois parties, Inferno (L’Enfer), Purgatorio (Le Purgatoire) et Paradiso (Le Paradis), composées chacune de trente-trois chants, auxquels il faut ajouter un chant d’introduction. L’ensemble représente une somme de cent chants et de près de 15000 vers, écrite entre 1307 et 1319, quand, au soir de sa vie, Dante achève son oeuvre, à la fois soulagé et mélancolique. La composition de La Divine Comédie est contemporaine à l’installation de la papauté à Avignon et donc à la construction du premier Palais des papes. Pour la culture occidentale, La Divine Comédie est davantage qu’un monument littéraire, c’est une référence. Même pour ceux qui ne l’ont jamais lu, ce texte fait sens et s’apparente à un pays mythique, dont on visite les enfers en redoutant ses peines, dont on parcourt le paradis en espérant ses joies. Nombre d’écrivains et d’artistes ont été fascinés par ce texte, ses images, ses visions, ses hallucinations, l’étendue de ses registres (amoureux, mystique, savant, allégorique, politique, poétique…), et beaucoup ont voulu le traduire pour mieux assimiler ses trésors (Dumas, Stendhal, Baudelaire, Nerval, Lautréamont, pour ne citer qu’eux). Romeo Castellucci, quant à lui, cherche à “précipiter La Divine Comédie sur la terre d’une scène de théâtre”. Il offre au spectateur, en trois étapes et trois lieux du Festival, une traversée, l’expérience d’une Divine Comédie.
Sur la terre de l’Église des Célestins, entre ses vieux murs, Romeo Castellucci a installé son paradis. Le spectateur qui parcourt librement cet espace entre dans sa propre intimité, processus façonné par une contemplation muette, par une lumière qui d’aveuglante se fait obscure, par de multiples reflets, des sons omniprésents. C’est un monde paradoxal, sans incarnation : dans Inferno, l’homme était exclu des élus, ici il est exclu du monde, condamné à errer dans un univers sans corps, sans visage, sans matière, un lieu de pure lumière et de sonorités sans limites, tout entier dévoué à la seule gloire du Dieu créateur. “Pour moi, c’est le chant le plus épouvantable, précise d’ailleurs Castellucci à propos du Paradis de Dante, une forme d’exclusion renversée, et non pas un accueil en forme de bienvenue!” Tout est centré sur le chant de gloire divin, si bien que les corps des spectateurs semblent se dissoudre dans la lumière, les sons, les reflets, comme s’ils perdaient leur substance dans une clarté si intense qu’elle absorbe tout, qu’il était désormais impossible à chacun de distinguer les perspectives du lieu, les proportions des choses, la consistance des objets. Toute psychologie et toute subjectivité semblent remises en cause. C’est là, dans ce parcours dans l’église des Célestins, qu’est proposée une interrogation à chaque spectateur : quelle est sa place, politique, sociale, face aux dysfonctionnements de l’existence ?
Antoine de Baecque